Le prix de l’esclavage
Travailler sans être rémunéré à 280 euros/1 000 litres, ça s’appelle de l’esclavage.
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Mon comptable me demande : « Connais-tu ton point mort ? » — « Non, mais je connais celui de ma moto, le point de non-retour, le point G (du moins je l’espère), le point du jour… » En comptabilité analytique, le point mort, ou le seuil de rentabilité, d’une entreprise se définit par le fait qu’elle couvre toutes ses charges sans bénéfice, ni perte. En comptabilité agricole, c’est la somme de toutes les charges avant rémunération, soit environ 280 € les 1 000 litres en plaine, avec des bâtiments amortis. Travailler sans être rémunéré s’appelle de l’esclavage.
Appliqué à l’agriculture, le point mort est une aberration intellectuelle . Dans une entreprise, le point mort englobe les salaires. Quand le chiffre d’affaires ne permet plus de faire face aux charges, la direction procède souvent à des licenciements pour garder sa rentabilité. Partout dans le monde, l’élevage familial se caractérise par cette capacité à survivre pendant les crises en ne prélevant pas de salaire et en engageant ses fonds propres. En production laitière, il y a très peu de salariés. On ne va pas virer les parents ou le copain qui viennent donner un coup de main gratuitement ! La solution serait de faire payer les parents. Travailler à la ferme pendant la retraite les aide à se maintenir en forme. La MSA devrait nous indemniser. Plutôt que les inciter à sortir au club de belote, mieux vaut leur proposer une activité physique de plein air. Dans les faits, les parents se portent souvent caution des prêts ou acceptent de ne pas percevoir de fermage. On pourrait aussi demander aux consommateurs de donner un coup de main payé en litres de lait.
N os industriels calculent leurs prix de revient avec des investissements remboursés sur cinq ans. Même quand ceux-ci sont amortis, ils continuent de calculer le coût à neuf afin de dégager de la trésorerie pour moderniser, agrandir… Tous les salaires sont rémunérés. Le plan comptable entreprise tient compte de la partie formation, recherche et développement. Les capitaux propres sont rétribués et les actionnaires grassement remerciés. Si l’on applique ces critères à nos exploitations, il faut compter au minimum 100 €/t de lait/UTH pour la rémunération et la MSA. Pour faire demain sans « les anciens », anticipons en ajoutant le coût des salaires. Prévoyons aussi l’autofinancement du tracteur amorti, qui ne vaut plus rien comptablement car il faudra sans doute le remplacer demain. Lorsque l’on expérimente un nouveau système, on prend des risques. La notion de formation, recherche et développement doit être comptabilisée. Les aides de l’Europe sont amenées à diminuer. Enfin, les marchés seront de plus en plus cycliques et aléatoires. Il faut donc prévoir de consacrer 5 à 10 % de ses bénéfices à l’épargne de précaution nette de charges afin d’assurer soi-même le risque. Le prix de l’esclavage + la rémunération + la part calcul industriel, c’est 280 € + 100 € + 70 €, soit un total de 450 €/1 000 1 sans les DPU. Alors au diable le point mort pour ne pas mourir à petit feu.
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